Présentation du texte : Des nécessités de reprendre la traite négrière après la période révolutionnaire: les arguments de la chambre de commerce de Nantes (1814)

Danyel Kervégan (1735-1817) : fondateur de la chambre de commerce de Nantes en 1802, armateur et négociant ayant participé à la traite négrière, maire de Nantes entre 1789 et 1791 et 1797, président du Conseil général de la Loire-inférieure de 1800 à 1805, député de 1804 à 1810.

François-Marie Bonaventure du Fou (ou Dufou) (1765-1833) : négociant ayant participé à la traite négrière et maire de Nantes de 1813 à 1816.

Philippe-René Soubzmain (1770-1843) : négociant ayant participé à la traite négrière et maire de Nantes de 1830 à 1832.

Autres signataires : Bernard Jeune (président), Paris, Mathurin Baudouin, Gullmann, Delaville, Schweighauser, Lemesle, Colas, Juste Fruchard.

Les informations disponibles sur ces autres signataires sont trop peu nombreuses pour permettre de rédiger une notice biographique. Il est toutefois possible de noter que des noms de famille tel que : Gulmman, Schweighauser ou encore Fruchard ce retrouvent à de nombreuses reprises aux cours du XVIIIe siècle associés au commerce négrier dans la documentation commerciale et administrative le concernant.

Il existe onze chambres de commerce en France avant leur dissolution par la loi Le Chapelier de 1791. Elles sont de nouveau autorisées en 1802 au début de l'empire napoléonien. L'année même, Danyel Kervégan avec des armateurs, négociants, commerçants, entrepreneurs et notables nantais créent la chambre de commerce de Nantes ayant pour vocation d'intervenir dans tous les domaines intéressants les activités maritimes et commerciales. L'abolition provisoire de l'esclavage entre 1794 et 1802 a marqué un coup d'arrêt brutal à l'un des trafics les plus rentables du port de Nantes. Si l'esclavage est de nouveau autorisé, l'Empereur favorise davantage le développement de ressources locales métropolitaines pour permettre l’autonomie par rapport aux colonies américaines, comme par exemple le développement de la culture de la betterave à sucre pour remplacer la canne à sucre des îles. Il échoue aussi à rétablir l'ordre sur l'île de Saint-Domingue qui se déclare indépendante sous le nom d'Etat de Haïti en 1804. En 1814, date de rédaction des observations de la chambre de commerce, l'île n'est plus sous contrôle français, mais n'est pas encore reconnue par la France comme un Etat indépendant.

La chambre de commerce se réunit pour rédiger ses observations juste après la signature du traité de Paris de 1814 mettant fin aux conquêtes de l'empire et exilant Napoléon Ier sur l'île d'Elbe. Un congrès doit se réunir à Vienne à la fin de l'année afin de redistribuer les territoires conquis par la France lors des guerres révolutionnaires. L'Angleterre à la tête de l'alliance européenne contre l'empire napoléonien, mais aussi  précurseur dans l'interdiction de la traite négrière, pèsera énormément dans les décisions prises lors de ce congrès. Au cœur des débats la réglementation du trafic maritime international, les armateurs et négociants nantais n’ont que peu de temps pour faire valoir leurs arguments en faveur de l’esclavage auprès du gouvernement sur l'intérêt économique et commercial pour la nation française de relancer la traite négrière.

Le second paragraphe de l’extrait présenté, évoque un doublement de la population d’esclave de l’île de Saint-Domingue entre 1754 et 1788, il est notable que celui-ci est majoritairement du à la traite et plus qu’au renouvellement naturel des populations. En effet, en plus du déficit souligné en femmes esclaves, leur taux de fécondité est plus faible que celui des femmes libres. De plus, les femmes esclaves pratiquent l’avortement voire l’infanticide accentuant une mortalité des esclaves, particulièrement celle des enfants, très élevées, conséquences des conditions de vies précaires sur les plantations et des nombreuses violences subies par les populations serviles. La traite négrière reste encore au XIXe siècle le seul moyen de maintenir une population servile suffisante à la mise en valeur des terres américaines.

Dans le quatrième paragraphe de cet extrait, les auteurs font référence à la « guerre soutenue contre les européens » soit la révolte de Saint-Domingue (1791-1804) et « celle qu'ils se sont faite entre eux » c'est-à-dire la guerre des couteaux (1799-1802), un conflit interne pour le contrôle de l'île opposant le Noir Toussaint Louverture et le mulâtre André Rigaud. La démographie de Saint-Domingue n'est pas connue, mais les membres de la chambre de commerce espèrent que « la liberté qui les aura porté à conserver leurs enfants » une référence pudique aux pratiques précédemment évoquées d'avortement et d'infanticide chez les esclaves des plantations.

Les auteurs tentent de se placer à l’extérieur du débat entre abolitionnistes et esclavagistes. Comme Gérard Mellier en 1716, ils ne nient pas l’inhumanité de la pratique, la définissant comme un « moindre mal », nécessaire à la viabilité de l’économie française. L’argument souvent employé des "bienfaits civilisateurs" pour les esclaves africains du contact avec le christianisme est ici remplacé par une référence à Jean-Jacques Rousseau, la civilisation se faisant par l’acquisition de la raison donc de la possibilité de mériter la Liberté. Ils reprennent ici à leur compte les concepts et les valeurs  universelles de Liberté et d’Égalité pour alimenter leur argumentaire pro-traite venant supplanter les arguments du siècle dernier souvent beaucoup plus centrés sur les concepts et les valeurs du christianisme (charité, sotériologie, etc.).

La sotériologie : est un domaine de la théologie chrétienne qui étudie les différentes doctrines du salut de l’âme humain.