Présentation du texte : Au bonheur des nègres, les Antilles dans les yeux d’une voyageuse, Janet Schaw (1774)

Janet Schaw  (1731-1801), est une voyageuse de la bonne société écossaise du XVIIIe siècle. En 1774, elle embarque à bord du Jamaica Packet afin d’accompagner son frère Alexander Schaw qui doit prendre ses fonctions dans l’administration des douanes de l’île de Saint-Christophe (en anglais Saint-Kitts). Cette dernière ayant été cédée par la France aux Anglais après la signature en 1713 du traité d’Utrecht mettant fin à la guerre de succession d’Espagne. Elle décide de tenir un journal de son voyage : Journal of a lady of quality being the Narrative of a journey from Scotland, to the West Indies, North Carolina and Portugal, in the years 1774 to 1776. Au cours de son voyage elle visite sa famille et des amis, eux-même colons ou membres de l’administration coloniale. Elle se fait le relai de leurs idées et l’avocate du système d’exploitation coloniale esclavagiste dans son journal.

Les extraits choisis du journal de Janet Schaw relatent ses premiers contacts avec la société esclavagiste des îles américaines lors de ses escales aux îles d’Antigua et Saint-Christophe toutes deux alors sous domination britannique. Après un premier choc, elle s’accommode fort bien des conditions de vie des esclaves, relayant les propos des colons sur leurs pratiques afin de justifier son changement de point de vue. Cette vision est assez représentative de nombreux récits de voyageurs et voyageuses choqués par la découverte des plantations esclavagistes et des marchés aux esclaves, mais se ravisant après qu’un ou plusieurs propriétaires leurs aient assuré traiter du mieux qu’ils pouvaient leurs travailleurs serviles.

Les récits de voyages sont très à la mode en Europe au XVIIIe siècle, les lecteurs européens ont soifs d’exotismes et les récits à succès de cette période mêlent réalisme, sentiment et imagination suivant la mode de l’Orientalisme. Le premier paragraphe est symptomatique de cette tendance, Janet Schaw y décrit une scène de la vie quotidienne en s’inspirant dans sa description de tableau d’artistes voyageurs du XVIIe comme Frans Post ou Albert Eckhout.

Dans le second extrait, Janet Schaw est témoin d'une réalité plus difficilement fantasmable : les violences corporelles envers les esclaves. Ici elle se fait le relai du discours colonial justifiant la nécessité de l'usage du fouet. Elle met en parallèle la sensibilité européenne qui tendrait, car civilisée, à se lamenter sur le sort des captifs à l'insensibilisée morale supposée des esclaves ; les rapprochant des animaux, justifiant ainsi la légitimité de l'usage à leur encontre des châtiments corporels.

Guerre de succession d’Espagne (1701-1714) : conflit opposant plusieurs puissances européennes pour la succession de Charles II dernier Habsbourg d’Espagne mort sans successeur. La Grande Bretagne s’implique dans le conflit afin d’éviter que la France ne devienne une super puissance continentale. La paix est retrouvée quand le prétendant français, Philippe d’Anjou, petit fils de Louis XIV, accède au trône d’Espagne après avoir renoncé à toute prétention sur le trône de France et que la couronne française ait cédé une partie de ses territoires coloniaux français dans les Antilles et au Canada, permettant ainsi au Royaume-Uni d’assoir sa thalassocratie atlantique.

Orientalisme : est un mouvement littéraire et artistique, dont l'esthétique a comme sujet l'Orient mêlant représentations "réalistes" avec des représentations imaginaires et fantasmées. Plus tard, il se développera à la suite des conquêtes napoléonienne et prend son essor dans le sillage du romantisme au XIXe siècle.

Frans Post (1612-1680) : est un peintre hollandais. Entre 1637 et 1644, avec par son collègue et compatriote Albert Eckhout (1610-1680), ils réalisent les premières peintures de paysages du Nouveau Monde, particulièrement des colonies portugaises. Il contribue par son œuvre à la popularité de l’attrait pour les pays exotiques.

Bibliographie:

LAPEYRE (Françoise), Quand les voyageuses découvraient l’esclavage, Payot, Paris, 2009. Cité page 22 et 24.