De la méditerranée à l’Afrique subsaharienne : Villes, constructions territoriales et circulations continuelles d’hommes et de marchandises. Perspective médiévale et moderne

Les derniers bouleversements politiques survenus à la faveur des « Printemps arabe » en Tunisie, en Egypte et en Libye, la crise économique et sociale que traverse l’Europe du sud ou la dernière guerre du Mali viennent de mettre en évidence l’importance géostratégique de la région englobant les rives méridionales et occidentales de la Méditerranée. La focalisation médiatique et parfois sensationnaliste sur les trafics d’armes, de drogue et la circulation de migrants clandestins, de combattants ou de mercenaires ne doit pas faire oublier d’autres formes de circulations plus banales et quotidiennes (voyageurs, pèlerins, biens alimentaires, tissus… mais aussi manuscrits, objets d’art, musiques, folklores, modes …etc.), ni reléguer à l’arrière-plan l’essor des investissements de pays nord-africains et proche-orientaux au sud du Sahara, au cours de la dernière décennie. Ces diverses dynamiques sont à l’origine de reconfigurations multiples du point de vue social, territorial et géopolitique.

Ces données nous invitent à réviser notre approche et à la reconsidérer à partir d’une perspective qui privilégie le long terme et la comparaison entre les deux rives de la Méditerranée. Par-delà la crise que connaissent les pays riverains de la Méditerranée et son impact sur les logiques de recomposition politique et spatiale, les sources documentaires et les travaux d’historiens montrent que les contrées sahariennes, ibériques et maghrébines ont entretenu des contacts très étroits entre le Nord et le Sud. Les traces archéologiques et épigraphiques témoignent de façon précise et incontestable de l’existence de routes et de forteresses militaires romaines au cœur du désert bien avant l’ère chrétienne. La conquête arabe parvint à mettre en exergue la place du Maghreb et de l’Espagne dans les réseaux complexes d’échanges entre le Proche-Orient, la Méditerranée occidentale et le Sahara. Idéalement situés au cœur des routes caravanières, des ports sahariens comme ceux du Fezzan, Zawîla, Ghadamès, Ouargla, Ghât, Sidjilmâssa, Tahert ou Tozeur connurent durant plusieurs siècles une expansion prodigieuse du commerce au long cours. Ces oasis s’imposèrent jusqu’au début du XXème siècle comme des relais et  des couloirs de migration intense entre Gao, Tombouctou, Takkada, au Sud et les villes de Tlemcen, Constantine, Kairouan, Tripoli, Alexandrie au Nord. 

Très tôt, sous l’impulsion des marchands orientaux, berbères ibâdites et juifs ibériques, l’on assista à un accroissement des trafics, amplifiés par des dispositifs financiers considérables et des systèmes de contrôle méticuleux des terminaux caravaniers et des voies maritimes. Par ailleurs, l’émergence de grands empires soudanais (Ghâna ; Mali entre le VIII- XIV siècle)  et l’occupation arabo-berbère de la Péninsule ibérique contribuèrent à dilater l’espace marchand en dynamisant considérablement les élites africaines. Indiscutablement, durant de longs siècles, or et esclaves étaient l’élément clé d’une accélération des transactions et d’un essor durable des marchés. Outre la poudre d’or et les colonies d’esclaves, les transactions portaient aussi sur le cuivre, le sel, le cuir, le bois, l’ivoire, les étoffes, les verreries, les  écailles et les plumes d’autruches .etc.

L’entrée en scène des Portugais, après la conquête de Ceuta en 1415, jeta les bases d’une nouvelle économie méditerranéenne reliant le cœur de l’Afrique soudanaise et méditerranéennes aux comptoirs atlantiques. Tirant profit des difficultés du Maroc et de la rivalité endémique de ses princes, les Portugais parvinrent ainsi à modifier les équilibres de la région. Forts de leur suprématie militaire, ils installèrent des places fortes tout le long des côtes marocaines et mauritaniennes entre Tanger, Agadir, Azemmour, Safi, Arguin, jusqu’au Golfe de Guinée. Cette aventure coloniale leur offrit alors le moyen de palier la crise des marchés du travail dans la Péninsule ibérique et l’ensemble de l’Europe méridionale ; crise aggravée par les grandes dépressions démographiques liées aux grandes épidémies et également aux décrets de bannissement et d’exil des juifs et des musulmans d’Espagne.

A partir du XV siècle le recours au travail forcé prend de plus en plus d’ampleur. Caravanes arabo-berbères et caravelles portugaises, soutenues par une remarquable confluence des débouchés, alternaient à un rythme régulier pour former un espace de traite multifonctionnel. Malgré des rivalités évidentes, les réseaux de marchands juifs, musulmans et chrétiens s’imposèrent comme les acteurs d’une économie globalisée assurant, conjointement et à une très grande échelle, la migration saisonnière de milliers de femmes et d’hommes depuis l’Afrique subsaharienne vers les rivages maghrébins et euro-atlantique ; une nouvelle donne qui modifia profondément les réalités économiques, sociales et humaines augurant ainsi d’un nouvel espace marchand et d’un partage mondialisé des flux de marchandises et de main d’œuvre.

L’ambition de ces journées d’étude est de réunir et faire dialoguer des historiens, des géographes, des sociologues, des économistes et des politologues autour des liens et des contacts entre le monde saharien et la Méditerranée. Elles entendent donc explorer les relations entre l’Afrique subsaharienne et l’Afrique méditerranéenne pour saisir les racines historiques de l’extension des échanges et des modèles de contrôle du marché du travail.

Comment ces territoires ont-ils été affectés par les allers retours des hommes ? En quoi ces déplacements et ces migrations ont-ils conduit à une redéfinition des droits des individus et à la construction de nouvelles catégories raciales ? Quelles sont les conséquences des migrations massives et des flux marchands pour la démographie, le peuplement ou l’économie de ces régions?

Nous aimerions réfléchir à la continuité de ces interrogations entre les périodes médiévale et moderne, entre les rives africaines et européennes de la Méditerranée.

 

PROGRAMME

 

Jeudi 4 décembre 2014

10h15-10h40 : Ouverture des journées d’étude

Antonio de Almeida Mendès et Salah Trabelsi

 

10h40-11h05 : Cyrille Aillet, CIHAM-Université Lumière Lyon 2

« Le bassin de Ouargla à l'époque médiévale : histoire et archéologie d'un carrefour du commerce transsaharien »

 

11h05-11h30 : Chafik T. Benchekroun, Université de Toulouse

« Des garnisons abbassides au Maghreb occidental et aux portes du Sahara ?»

 

11h45-12h10 : Ivan Armenteros Martínez, LA3M/TELEME, Université Aix-Marseille

« L’ouverture méditerranéenne vers l’Atlantique. Le cas des hommes d’affaires catalans dans l’articulation de la première traite négrière (XVe XVIe siècle) »

 

12h10-12h30 : Discussion

 

14h30-14h55 : Elise Voguet (CNRS)

« Tlemcen-Touat-Tombouctou : un réseau transsaharien de diffusion du mālikisme et du soufisme (XVe-XVIIe) »

 

14h55-15h20 : Mahjouba Bijaoui, Ecole de Rome/Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales)

« Au carrefour du métissage: le Maghreb, esclave ou maître ? »

 

15h50-16h15 : Marta Garcia Novo (Universidad Autónoma de Madrid)

« Trois récits sur l’ennemi infidèle: esclavage extra ethnique vs. domination et esclavage intra ethnique en Afrique de l’Ouest »

 

16h45-17h15 : Discussion

 

Vendredi 5 décembre 2014

10h-10h25 : Marie Rodet (University of London, SOAS)

« Contacts et flux migratoires entre monde saharien et Afrique sub-saharienne le long du fleuve Sénégal (1880-1958) »

 

10h25-10h50 : Abderrahmane Moussaoui, GREMMO-Université Lumière Lyon 2

« Les h’râtîn des oasis sahariennes, ethnie ou classe sociale ? »

 

11h-11h25 : Discussion

 

Programme :