Colloque international : La parole et le corps Fabrique, ambigüités et brouillages des catégories en Amérique ibérique (XVIe-XXe siècles)

La parole et le corps

Fabrique, ambigüités et brouillages des catégories en Amérique ibérique

(XVIe-XXe siècle)

 

 

Lieu : Casa de Velázquez, Madrid

Dates : 10-11 novembre 2016

Coordinateurs : Nadine Beligand (Université Lumière Lyon 2-UMR CNRS 5190-LARHRA) et Arnaud Exbalin (Université Paris-Ouest-Nanterre-UMR 8168-Mondes Américains)

Organisateur: projet ETHNIC, « La fabrique des catégories ethniques à l’époque coloniale. Royaumes du Pérou et de la Nouvelle-Espagne, XVIe-début XIXe siècles » (CSIC-Casa de Velázquez, 2015-2016)

Partenaires: Escuela de Estudios Hispano-Americanos CSIC Séville (séminaire SEMPERCAT), programme « Approches socio-politiques du fait colonial et impérial » Mondes Américains (UMR 8168-Paris), programme STARACO “Statuts, Races et Couleurs dans l’Atlantique” (Pays de la Loire-Université de Nantes-CRHIA-Casa de Velázquez), LARHRA (UMR 5190-Lyon), projet RE-INTERINDI « Los reversos del indigenismo » (HAR2013-41596-P).

 

Argumentaire

Ce colloque s’inscrit dans le prolongement des réflexions engagées récemment par plusieurs programmes de recherche qui observent les processus d’identification et de catégorisation socio-raciale des populations dans l’espace atlantique.

Deux hypothèses président aux réflexions que l’on souhaiterait voir développées lors de cette rencontre. En premier lieu, si les catégories socio-raciales forment bien un cadre juridique qui permet d’organiser et d’administrer les populations des royaumes ibériques, elles ne sont en réalité pas fixées de manière permanente, ni imposées exclusivement par les autorités coloniales. Depuis les recherches pionnières de Berta Ares sur les mondes métis du royaume du Pérou jusqu’aux travaux récents de Joanne Rappaport sur le royaume de Nouvelle-Grenade, les auteurs ont souligné que les pratiques d’assignation identitaire sont toujours situationnelles, c’est-à-dire négociées dans des contextes spécifiques (procès, élaboration des listes de tributaires, procédures d’annulation de mariage, etc.) où officiers et magistrats ne sont pas les seuls à intervenir dans le processus d’identification des personnes. Cette première hypothèse invite à prendre en compte le rôle des individus dans les processus identificatoires. Comment les personnes réagissent-elles aux catégories qui leur sont assignées et dans quelle mesure participent-elles, également, à leur élaboration ?

En second lieu, que l’on ait une conception ample de la « race » ou que l’on préfère parler de calidad pour désigner l’ensemble des critères qui prévalent dans la fabrique des contours de telle ou telle catégorie, les travaux sur ce thème concourent à affirmer qu’un grand nombre d’indicateurs s’associent dans la catégorisation des individus. Les réflexions ont jusqu’à présent porté en priorité sur le lignage, le sang, la couleur de peau, le phénotype, l’appartenance religieuse.

Nous souhaiterions introduire les marqueurs qui apparaissent de manière récurrente dans les dossiers d’archives et qui sont encore assez peu  étudiés, en particulier le maniement des langues, l’apparence corporelle et les habitus alimentaires, à la fois porteurs d’informations sociales et supports de jugements, véritable para langage et forme de communication verbale. Nous partons du postulat que ces éléments de la culture « matérialisée » forment un ensemble de signes visuels qui concourent à fabriquer, comme à brouiller, les identités ; dans les Amériques ibériques, ce processus se déploie sur une très longue durée (XVIe-XXe siècle). Parler, se vêtir, se nourrir, se mouvoir, se joindre aux autres, s’assembler, sont autant de comportements sociaux qui renvoient à des manières de faire et de paraître qui participent entièrement à l’« être ». Le corps, produit social et marqueur social,  apprend, à partir de son histoire, à tenir différents rôles, à maîtriser les allants de soi corporels propres à un milieu donné, à un rôle attribué.  C’est par le corps que la personne vérifie son existence au monde et cherche à valider une image de soi qui participe de la constitution progressive de son identité individuelle.

La question linguistique est primordiale pour comprendre comment se forment les catégories, qu’elles soient coloniales ou actuelles. S’il est aisé de différencier, par leur accent, un Français d’un Québécois, la question de l’identité linguistique commence à se poser dès lors qu’un individu parle plusieurs langues. Le bilinguisme conduit en effet à créer de nouvelles catégories, comme celle de Indio ladino, (Indien hispanisé) et permet également à tout un chacun de dissimuler sa « nation », de naviguer entre les catégories et de se faire passer pour un autre (un Indien, pour un métis par exemple) ou pour « des » autres, au gré des circonstances.

La question vestimentaire participe assurément à évaluer, en un seul regard, l’appartenance socio-raciale d’un individu. Au-delà des stéréotypes (l’Espagnol chaussé, coiffé et emmitouflé dans sa cape, l’Indienne aux pieds nus, portant un huipil, etc.), nous nous intéresserons au pouvoir de cristallisation identitaire qui réside dans un chapeau, une natte, une paire de souliers, de la dentelle ou de la soie.

La question alimentaire enfin est essentielle dans les sociétés mêlées. Préférer la consommation de  chicha au vin de Castille, ingérer du pain blanc plutôt que des galettes de maïs, ces lignes de partage renvoient à des mondes culturellement distincts. Or, les mondes pluriculturels connaissent de nombreuses chaînes de réciprocité qui favorisent des expériences alimentaires nouvelles qui deviennent habituelles : un Espagnol en vient à préférer le pulque ; un Indien se met à consommer du pain. Les manières de table, le service à table constituent un langage qui exprime un champs d’interactions sociales (le rang et la qualité d’un individu, la nature de ses liens avec ses convives, etc.).

C’est en examinant, de l’intérieur, l’usage de la parole et du corps comme outils d’inclusion et d’exclusion des catégories construites par l’administration impériale, en observant l’adoption du bilinguisme (ou multilinguisme), des apparences corporelles et des habitus alimentaires, que nous serons à même de mesurer l’impact des constructions catégorielles et leurs résonnances sur les identités sociales. Le sujet se pose avec d’autant plus d’acuité dans les sociétés urbaines où les phénomènes d’acculturation et de métissage sont avancés.

Ces questionnements recouvrent un grand nombre de thématiques que l’on souhaiterait voir abordées :  depuis le rôle des intermédiaires culturels (ordres mendiants, traducteurs, maîtres d’école, nourrices, etc.), en passant par les règlementations somptuaires, les représentations iconographiques des catégories, les pratiques ponctuelles identificatoires des officiers,  jusqu’aux politiques linguistiques, Un intérêt spécifique sera accordé aux catégories intermédiaires telles que les métis et les mulâtres, a priori plus à même de jouer sur les confusions.

Programme :